Elsa Satilmis, nouvelle directrice de « 1000 cafés », répond à nos questions

12/09/2023 |
#1000 cafés
Cet été, notre équipe a accueilli sa nouvelle directrice : Elsa Satilmis. Originaire d’un petit village de l’Isère, elle nous partage son parcours, ses valeurs et ses engagements qui l’ont déterminé à rejoindre le programme « 1000 cafés ».

Peux-tu te présenter et nous présenter ton parcours?

Je viens d’un village de l’Isère qui s’appelle Serpaize. Si nous étions un peu moins de 1200 habitants dans les années 90, la commune compte aujourd’hui plus de 2000 habitants avec une école qui a doublé son nombre de classes, un centre village qui s’est développé autour de la mairie et du seul café, toujours en activité. J’ai quitté mon village natal à l’âge de 18 ans pour rejoindre Lyon où j’ai poursuivi mes études jusqu’en 2012. J’ai alors commencé ma carrière dans l’univers de l’industrie agroalimentaire avant de me rendre compte que tout fonctionnait à l’envers et qu’il était urgent de pouvoir reprendre en main notre consommation et garantir une juste rémunération des producteurs. C’est ainsi que j’ai rejoint la démarche naissante de consommateurs “C’est qui le Patron ?!” qui vise à (re)créer des produits alimentaires en décidant nous-mêmes de l’origine des ingrédients, du mode d’agriculture et bien sûr de la rémunération des producteurs. Une démarche simple, basée sur le bon sens collectif et la co-construction permanente avec et par nous les consommateurs. J’ai donc aidé cette coopérative de consommateurs à se développer en ayant tout d’abord à charge la relation avec les enseignes de la grande distribution (référencer les produits dans un maximum de magasins en France pour qu’ils puissent soutenir un maximum de producteurs) puis en coordonnant et dirigeant l’équipe opérationnelle de “C’est qui le Patron ?!” composée d’une 30aine de personnes (et bien sûr des milliers de sociétaires actifs partout en France). Cette expérience a changé mon rapport aux choses, au monde qui nous entoure et m’a surtout fait prendre conscience de l’importance que nous avions à prendre soin de notre territoire et de ses habitants.  J’ai pu aller à la rencontre d’agriculteurs qui font tous face à une diversité de situations et de changements qu’ils opèrent chaque jour en prenant en compte les réalités de leur métier, l’environnement, les acteurs locaux avec lesquels ils travaillent et en recréant du lien avec nous consommateurs.  

Au-delà des agriculteurs et agricultrices, nous avons créé un vrai dialogue avec tous les acteurs de la chaîne : des agriculteurs aux consommateurs, en passant par les fabricants et les distributeurs ou les acteurs publics. C’est avec « C’est qui le Patron ?! » que j’ai découvert l’incroyable pouvoir que nous avons tous entre nos mains : celui de faire bouger les choses, de recréer des modèles et du lien social au travers de la co-construction. C’est ce que je retrouve au cœur de l’action de « 1000 cafés » : repartir de nos besoins d’habitants, co-construire et se mobiliser tous ensemble pour recréer ces lieux de vie et de rencontres chers aux territoires. 

 

Qu’est-ce qui t’anime le plus aujourd’hui dans ton travail ?

Vous l’aurez compris, ce qui m’importe, c’est la co-construction. Quand nous co-construisons les choses, il y a une bienveillance collective qui se noue. Cette intelligence collective ce n’est pas un mot galvaudé : c’est quelque chose de tangible. Quand nous mettons des gens autour de la table, que chacun peut partager ses besoins, ses contraintes, sa vision des choses : très souvent nous arrivons à construire des projets qui vont dans un sens commun car nous prenons en compte les besoins de chacun. Quand nous enlevons le superflu et que nous nous concentrons sur les besoins et que chacun œuvre, à son échelle, main dans la main : nous pouvons vraiment faire bouger les lignes. 

Si nous nous rendons disponibles c’est pour que nos actions aient un impact. Un impact certes économique pour permettre la durabilité d’un projet mais également un impact social ou environnemental. Savoir notamment combien de personnes ont été aidées grâce au projet. Chez « 1000 cafés », l’impact social se ressent à travers : 

  • Le nombre de gérants qui ont pu lancer leur projet, être accompagnés et formés
  • Le nombre d’emplois créés en zone rurale
  • La diversité de services qui ont pu revoir le jour dans les communes (petite épicerie, dépôt pain, relais colis, point postal, point presse, …), les animations et soirées à thèmes organisées, qu’il s’agisse de karaoké ou d’ateliers numériques pour séniors. 

L’impact social se lit à travers tout ce qui crée de l’échange et la vie dans un village. 

Ce qui m’anime c’est ça : comment avec le travail de tous, avec la co-construction, avec l’échange en permanent, nous arrivons à résoudre durablement des problématiques sur des territoires et à recréer des dynamiques. 

 

Comment as-tu connu « 1000 cafés » ?

Originaire d’un village du nord Isère je n’ai jamais été très loin des enjeux de maintien des services de proximité et d’animation des zones rurales – sans pour autant avoir personnellement investi ces sujets.  

La pandémie liée au COVID-19 a mis en exergue l’incroyable élan de solidarité qui s’est déployé partout en France et les initiatives qui ont vu le jour dans de nombreux villages français : du direct producteur à la livraison de repas pour seniors isolés en passant par ces urbains qui quittaient leur emploi pour rouvrir des bistrots en campagne, je ne suis forcément pas passée à côté de ces actualités qui ont rythmées notre année 2020. Étant cycliste depuis plusieurs années, j’ai également pris l’habitude de sillonner la France, de campagne en campagne, de découvrir des régions, des lieux et des personnes dans les cafés par lesquels j’ai pu m’arrêter et qui ponctuent chacun de mes trajets à vélo. C’est donc assez naturellement que je me suis intéressée aux cafés de village et aux nombreuses initiatives qui permettent de redynamiser les campagnes et dont « 1000 cafés » fait partie.

 

Pourquoi est-il important d’agir pour redynamiser nos campagnes ?

En dehors de l’importante médiatisation qui s’est déroulée au moment du mouvement des gilets jaunes et durant la pandémie de COVID-19, on parle très peu des campagnes et des personnes qui vivent dans ces zones rurales. C’est un tiers de la population française qui est quasi invisible et qui se sent délaissé. Il n’y a qu’à parcourir la France pour voir le nombre de bureaux de Poste qui ferment, le nombre de gares désaffectées, le nombre d’hôpitaux dans lesquels les services s’arrêtent, le nombre de villages qui mettent des banderoles à la recherche d’un boulanger ou encore d’un médecin généraliste. C’est pour cela qu’aujourd’hui, il est primordial d’agir. D’abord pour pouvoir recréer des services de proximité, des lieux d’échange où les idées et la mobilisation citoyenne émergent. Ensuite pour permettre à ces villages de se développer, d’attirer de nouveaux habitants qui feront à leur tour vivre l’école du village, le café du coin, les associations sportives et culturelles.

 

Quels sont les principaux défis face à cet enjeu ?

Le défi prioritaire est de pouvoir impulser à nouveau des dynamiques d’engagement citoyen dans les communes que nous accompagnons. Il s’agit de co-construire chaque projet avec les habitants, un gérant de café, les élus et « 1 000 cafés ». C’est le cas pour le démarrage du projet d’ouverture d’un café mais la co-construction et les échanges doivent se maintenir tout au long de la vie du café. Je crois profondément à ces échanges collectifs. Il est essentiel de se donner les moyens de créer cette mobilisation citoyenne. 

Ensuite il y a un défi économique. Nous intervenons dans des zones rurales où l’équilibre économique des commerces est beaucoup plus fragile qu’en ville. Nous savons que nous nous attaquons à un sujet complexe, où la recherche d’un équilibre économique – pour que le projet puisse être pérenne – est un défi à part entière : c’est d’ailleurs l’une des principales raisons qui explique la perte de commerce dans les communes rurales. Cela suppose de faire revenir des gens au café alors qu’ils n’en ont plus l’habitude comme le dernier café près de chez eux a fermé souvent depuis de nombreuses années. Il faut ainsi recréer des habitudes, organiser des temps d’échanges, de rencontres, des temps festifs, innover en mettant en place de nouveaux services de proximité. Cela implique également de pouvoir changer de modèle de café en fonction des particularités du territoire et de l’activité du café : il y a des cafés dits “traditionnels” avec un gérant qui dirige l’établissement mais les cafés associatifs permettent également, lorsque l’équilibre économique est plus difficile à atteindre, de recréer ces lieux de vie grâce aux habitants et aux élus qui s’engagent directement dans leur ville. Enfin, l’un de nos défis est bien sûr de réussir à installer un gérant de café dans un village et d’apporter à la commune une compétence rare qui permet de recréer de l’activité économique et de la vie. Lorsqu’un gérant de café décide de se lancer dans son projet de création ou de reprise d’un café en zone rurale c’est tout un projet de vie qu’il oriente autour de son activité entrepreneuriale. C’est un “métier passion” mais qui ne doit pas faire oublier sa complexité et l’exigence de multiples compétences : maitrise de l’activité de cafetier, de restaurateur, de gestionnaire d’entreprise, d’animateur d’un lieu de vie. Un gérant est un entrepreneur aux multiples casquettes qui accepte de se remettre sans cesse en question et de faire évoluer son activité en fonction du territoire sur lequel il opère. Il est donc important de pouvoir accompagner au mieux ces gérants, de leur apporter les outils ou les formations dont ils ont besoin pour exercer leur activité le plus sereinement possible. 

 

Comment définir l’action de « 1000 cafés » ?

« 1 000 cafés » c’est un réseau qui permet de recréer des lieux de vie au sein de nos campagnes. Nous agissons de différentes manières pour cela :  

  • Nous créons des cafés avec les mairies et les habitants dans des lieux où les acteurs traditionnels de secteur se sont désengagés,
  • Nous accompagnons des cafés existants qui ont besoin d’un coup de pouce,
  • Nous menons des “projets pilotes”. Notre rôle est aussi de chercher en permanence de nouvelles solutions pour répondre aux enjeux cités plus haut. Recréer des solutions qui passent par la mobilisation citoyenne et par des expérimentations sur le territoire (par exemple, tester d’autres modèles de café comme le modèle associatif, participatif ou itinérant dans des zones qui ont la capacité de développer ces types de modèle) ou expérimenter des activités particulières dans les cafés : des ateliers, des animations en lien avec des partenaires comme nous faisons à travers notre partenariat avec Klésia ou Orange.  
  • Nous animons au quotidien un réseau qui inclut les gérants de cafés et les municipalités engagées. 
  • Nous formons aussi. Il y a une grande dimension de formation et d’accompagnement pour les gérants de cafés.
  • Nous développons de nombreux services pour soulager les gérants dans la gestion de leur café. Nous créons de nombreux outils dans ce sens. Nous négocions aussi des tarifs avantageux pour eux auprès de fournisseurs. Et nous mutualisons des outils et services qui vont leur permettre de développer leur commerce plus aisément. 
  • Nous recréons du lien dans les communes en faisant venir la culture dans les établissements et en accompagnant les gérants dans la mise en place de ces animations.  
  • Enfin, nous défendons le besoin de développer le dynamisme de nos territoires ruraux et de créer des lieux de vie dans ces zones auprès du monde institutionnel et des pouvoirs publics.

Aujourd’hui, l’initiative « 1000 cafés », c’est une pluralité d’actions qui répond à un enjeu : redévelopper la vie locale dans les communes rurales. Nous le faisons via toutes ces actions.

 

En tant que directrice, quelles sont les perspectives de l’association ?

En septembre 2023, « 1 000 cafés » a 4 ans. C’est le moment de poursuivre le bilan de ces dernières années d’actions. Le programme s’est énormément développé durant ces quatre années, et ceci malgré un contexte difficile pour le secteur de l’hôtellerie restauration avec la pandémie et l’inflation galopante. Le réseau « 1 000 cafés » compte aujourd’hui une centaine de cafés où le programme intervient en tant qu’opérateur. Dans ces cafés la priorité est de se donner tous les moyens pour permettre aux cafés de développer leur activité et atteindre le rythme de croisière qui leur permet de vivre sereinement. Nous allons donc renforcer l’accompagnement, le suivi et les outils utiles à la gestion d’activité. Le réseau « 1 000 cafés » compte également une autre centaine de cafés où nous intervenons en tant qu’accompagnant, pour aider ponctuellement ou dans la durée ces cafés indépendants à poursuivre leur activité et à se développer. Notre ambition est de permettre à l’ensemble des cafés implantés en zone rurale de disposer d’un réseau qui puisse leur apporter une aide juridique, de gestion, d’animation, d’implémentation de services de proximité, un réseau qui porte également leur voix auprès du grand public et du monde institutionnel.

 

Qu’est-ce qui t’a déterminé à devenir directrice de « 1 000 cafés » ?

Le développement des territoires ruraux me tient particulièrement à cœur. C’est un enjeu que j’ai découvert avec « C’est qui le Patron ?! ». Aujourd’hui, nous avons une pluralité de territoires à défendre et à (re)dynamiser.  Dans un contexte difficile, avec un sentiment toujours grandissant d’abandon des habitants de ces communes rurales, il est important que des acteurs comme « 1 000 cafés » décident de se mobiliser. Alors oui c’est compliqué et oui le programme « 1 000 cafés » intervient là où personne ne souhaite investir le sujet mais nous croyons au potentiel et au besoin de développement de ces territoires. Nous montrons qu’avec la volonté d’un groupe (le Groupe SOS) et celle de nombreux acteurs mobilisés à différentes échelles autour d’un projet, nous pouvons vraiment faire bouger les choses.  

Ce qui m’a également motivé à rejoindre l’aventure « 1 000 cafés » c’est car il s’agit d’un projet basé sur l’humain et je pense en premier lieu aux gérants des cafés ruraux. On arrive, on passe le pas de la porte et on ne se rend pas toujours compte que la personne qui est derrière le bar est celle qui gère, certes, un bar mais aussi : un restaurant, le relationnel, l’administratif, l’avancement des travaux et bien d’autres choses encore. Je souhaite participer à la mise en valeur de ce métier aux mille facettes. 

Enfin, pour moi, le café est le meilleur lieu de vie au monde ! Quand nous allons dans un café c’est pour y passer un bon moment. Nous y allons pour se rencontrer, échanger, sortir de son quotidien. Je trouve que c’est le lieu où se crée de belles dynamiques. Ce n’est pas qu’un café. C’est le lieu de vie par définition qui permet de rassembler des gens, qu’il est important de maintenir, de préserver, de recréer et de réinventer. 

La Guinguette mobile de 1000 cafés sur les routes de l’agglo de Saint-Dizier, Der et Blaise

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Le Groupe KLÉSIA devient partenaire de 1000 cafés, association portée par le Groupe SOS

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Elsa Satilmis, nouvelle directrice de « 1000 cafés », répond à nos questions

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